SUR LES TRAVAUX DE MARIE PINOTEAU


Elle dit … Pas tout de suite. Elle regarde d’abord si vous savez voir ses tableaux dans leur autonomie et leur assemblage, passer du point fixe de la dérive, du déchiffrement à l’errance entre les signes, si vous pouvez, en somme, naviguer à l’estime, au rêve éveillé, au fil d’Ariane intermittent.
Alors elle dit son « usage du Monde », jouant sur l’ambiguïté des sens qu’elle pratique gravement comme la condition même de son art. Il s’agit du journal Le Monde, la température universelle au quotidien, le tout du monde entier, le tout d’une journée. « Contrecoller par sept les pages du quotidien découpées préalablement par moitiés, quart, huitième, seizième du Monde par traité et au couteau »
Elle dit : « Former la peau du Monde ». Elle occulte ensuite le fourmillement des caractères d’imprimerie, le grouillement des nouvelles larvaires ou extensives … la dynamite, le tonnerre, le cœur, le moelleux de la paix, le lisse des banalités, sous des pigments qu’elle broie et qu’elle lie à la cire.

Elle pétrit, malaxe, unifie, hérisse. La force des doigts, le doigté, la main ouvrière sur le bourdonnement des mémoires pour effacer, recouvrir ou, parfois, retrouver la trame des jours mais confuse et engourdie.
Peau à tatouages partiels, palimpseste inaccompli ou gratté dans l’ordre de ses strates afin que le concept du support journalier devienne poétiquement concret grâce aux fines effractions, fêlures par où le souterrain fait pressentir ses laves. Elle y laisse ses propres traces : la peau du Monde comme carnet de route, journal intime, inventaire du regard, des sentiments et des médiations. Les figures, les apparences sont griffés - des graffitis - sur l’enduit des pigments vernissés.
« Mare nostrum », « Les Mondes en silence », « Les citadelles », autant de déplacements dans l’espace ou de voyages intérieurs et le tableau comme lieu unique, point focal de l’enfouissement et matière vibrante du plus secret diffusé dans le visible.

Dans les œuvres récentes, il n’y a plus à distinguer que le ciel et la terre, peut être le ciel et peut être la terre, l’un et l’autre s’engendrant en substances inversées et complémentaires.
Parfois rien. Un accord derrière un rideau à entendre avec l’œil, l’harmonie opaque du silence.
Encore : les correspondances, la continuité instinctive et philosophique.
Chaque tableau se prolonge dans l’autre et chaque ensemble résonne dans le suivant. Le journal ne s’interrompt pas. Il va des signes sur le magma à l’indescriptible en puissance, du fragment pétri au sol à l’articulation de ces fragments au mur.
Elle dit : « Inscrire comme un journal a fresco ». Pour finir elle dit « Je considère mes tableaux comme des bagages à rêves ».
Alors rêvons !l’

J.J. Lerrant

________________Retour


FER ROUGE


Souvenez vous la mer quand elle vire au noir. Le jour n'est pas encore tombé. Le ciel se plombe. La masse liquide roule, gronde, rugit, bouillonne, ses flots en incessants mouvements.
Une bateau passe au large. Les feux dardent, clignotent, laissent traces et mémoires au gré des couleurs, rouge, jaune, bleu, plaquant des transparences éphémères sous la surface sombre.
Il s'agit bien du Monde. Plongeant à l'horizon la voile, le mât, sont des preuves de la rotondité de la terre. Les immensités d'eau donnent corps à la sphère. D'un point de vue cavalier, le navire pourrait aussi bien être englouti. Les rougeoiements devenant explosions, incendies, combustions de la technologie submergée. Mare nostrum mangeuse d'hommes et de galions, malgré son aura de fiancée paisible.
Mais je m'égare. En rêvant simplement devant cette marque au "Fer Rouge". imprimée sur les recouvrements successifs des deuils, j'ai oublié le sujet: le Peintre, ou plutôt "la" Peintre qui n'existe au féminin que par le genre de l'article défini, non par une désinence en euse ou en esse.

Il faudrait inventer le mot, innover pour Marie Pinoteau. Lectrice au quotidien des émotions enfouies. Archéologue recouvrant en place d'exhumer. Lingère des sables du désert cousant des toiles pour armer ses vaisseaux.
Tout cela passe par le Verbe. Parole égratignée, griffures de l'écriture, paperolles, banderoles, bannières et autres gonfanons viennent se tendre sur des mâts de rencontre pour dresser l'état des lieux d'une Topographie intime".Comment ne pas trembler doucement sous l'indication fragile et poétique que donnerait ce souffle du Cap Corse à notre imaginaire. Mais il peut devenir bourrasque, tempête, ouragan. Nous voilà bousculés par les paquets de mer, les rafales. Nous voilà roulés, emportés par la vague, sans le moindre recours que la coque d'un esquif qui coule.
Là nous nagions entre deux eaux. Chez Marie Pinoteau, dessous, il y a "Le Monde", pas la planète le quotidien. Enfin quand même un peu la planète que l'on vit au quotidien.

Notre univers enfoui sous les couches superposées d'un noir qui refuse de dire son nom, même sa couleur, puisqu'il naît de l'accumulation de toutes les autres. Comme nous provenons des strates du passé.
Le journal (l'aviez vous deviné?) le journal s'esquive et fuit sous le travail. Tel celui des eaux ou du vent qui s'emploient à dévoyer formes et sens. Ainsi les maux deviennent mots, le papier, prétexte à plis, bourré de cires et de silences, se mue en mue, autre façon de flouer l'ingénu.
La force est puisée dans l'essence, comme une qui se cacherait pour chercher l'ultime vérité de l'être. Pas facile je l'accorde, mais vibrant, tenace, enivrant.
Marie Pinoteau ne montre pas ses fouilles, elle les dissimule. Les bras en croix devant ses œuvres, elle semble dire: "Cherchez et vous trouverez, mais ne comptez pas sur moi pour vous y aider!".

J.J. Romagnoli

__________________Retour